Déserter

« Déserter », le nouveau roman de Mathias Enard alterne au fil des chapitres l’histoire d’un soldat inconnu qui a choisi de déserter lors d’une guerre contemporaine et fuit dans les montagnes méditerranéennes, et de l’autre côté le récit d’un colloque scientifique sur un bateau, organisé en  hommage à un célèbre mathématicien est-allemand, Paul Heudeber, qui a vécu durant le temps des camps et du rideau de fer mais jusqu’à sa disparition tragique est resté fidèle à ses engagements politiques communistes jusqu’à l’extrême, à l’époque où s’épanouissait la social-démocratie…

Hormis deux cas spécifiques de désertion face à l’horreur de la guerre, l’une racontant comment le soldat, fils de ferronnier dont jamais on ne cite le nom, parvient à survivre avec ses maigres armes et moyens minimalistes dans un monde où le chaos est proche, et qui sera forcé de gérer contre son gré la présence d’une femme au cheveu étrangement court et d’un âne borgne qui leur seront d’une grande aide…

De l’autre, l’hommage au grand mathématicien allemand est consommé sur un bateau de croisière de luxe, ‘le Beethoven’ par un grand groupe d’universitaires autour d’Irina, la fille du défunt, lors d’une excursion fluviale qui débute juste quelques heures avant le 11 septembre 2001…Au cours de cette croisière, il est fait un retour sur tout ce que le mathématicien a connu comme expériences dans l’Allemagne nazie où fleurissaient les camps comme Buchenwald, dont la découverte a bien sûr radicalement modifié la vie et les opinions de Heudeber…Des retours historiques entrecoupés par des réflexions sur la science des mathématiques mais aussi par la publication de magnifiques lettres d’amour qu’Heudeber n’a cessé d’adresser à Maja, la femme de sa vie, qui, quant à elle, a choisi de passer de l’autre côté du Mur de Berlin.

Le parallèle effectué entre ces deux personnages ‘déserteurs’ qui ont eu des conditions de vie au paroxysme l’une de l’autre ne manque certes pas d’intérêt. Cependant pour ma part, le passage permanent de l’un à l’autre m’a donné une impression globale de décousu. Impression aggravée d’autant par le fait que si pour Paul Heudeber, l’auteur évoque sa vie durant plusieurs décennies, pour le simple trouffion, anonyme, l’espace-temps de son suivi est limité à quelques jours ou semaines. Cela m’a empêché de rentrer profondément dans ce nouveau livre de Mathias Enard, dont le manque de fluidité est heureusement largement compensé par une écriture magnifique qui penche parfois vers la poésie… si tant est que l’on met de côté des passages de phrases très longues qui continuent et continuent malgré des passages à la ligne qui s’enchaînent, pas forcément digestes. On a l’impression que Mathias Enard s’emploie à donner un rythme à son récit par la présence de phrases limpides, courtes et belles qu’il compense par celles qui paraissent interminables…

A signaler de plus qu’il faut être à minima connaisseur puriste des sciences mathématiques pour comprendre réellement la signification ainsi que toutes les allusions que représentent les digressions et illustrations fournies par les universitaires de haut niveau présents sur le « Beethoven ».

En conclusion, un ouvrage somme toute court, certes pas inintéressant mais qui par ailleurs n’apporte guère d’éléments nouveaux au sujet de la guerre, ni au niveau des idéologies politiques du XXème siècle.